Une discussion est en cours dans les commentaires du billet "AA, anarchopediste", que je vous invite à suivre. Partant de l'Amour Libre, où j'ai beaucoup appris, la discussion a pris une tournure qui est fort intéressante.
Jusqu'à présent, le fond de la discussion étant fort éloigné de la façon dont je perçoit le sujet je me suis abstenu de mettre mon grain de sel, autrement que succinctement. C'est un commentaire d'Anne Archet, en réponse à Ras qui me décide
Derrière cette tendance à naturaliser les rapports sociaux se cache un désir de justifier et de rendre acceptable l 'exploitation.
Pour ma part, derrière la tendance à naturaliser les rapports sociaux se cache un désir à comprendre ce qui existe et essayer d'imaginer comment l'améliorer, en se pliant à une discipline stricte qui ne tient pas compte des éthiques et des morales dont nous avons hérité. Et je trouve indispensable de naturaliser les rapports sociaux, en évitant les sophismes qui n'auraient comme objectif que la justification des choix faits par le passé.
Et si l'on peut penser pendant un instant que mes positions sont dues à une déformation professionnelle il faut se détromper; j'ai étudié la biologie parce que je pensais qu'elle me fournirait des outils pour mieux comprendre les mécanismes de la société dans la quelle j'évoluais; a posteriori je suis ravi de mon choix et j'ai développé une nette tendance à naturaliser que je nourris attentivement.
Le sex est une vieille invention du vivant, largement favorisée par l'évolution parce que elle est le meilleur moyen de la favoriser, l'évolution.
En dehors du potentiel adaptatif que la recombinaison génétique présente, la reproduction sexuée oblige à des interactions interindividuelles; il faut bien à un moment ou un autre trouver un partenaire pour se reproduire [de la parthénogenèse j'ai discuté il y a longtemps et ce n'est pas le sujet ici]. Ces interactions n'ont pas toujours abouti à la mise en place de sociétés, mais à chaque fois que ça a été le cas, on peut observer que la sexualité, l'ensemble des comportements liés à la reproduction sexuée, a été à la base de la formation sociale. Et les sociétés qui en résultent sont fortement influencées par les besoins d'adaptation au milieu. Et présentent la même diversité que les couples espèce/milieu que l'on peut observer.
Les sociétés humaines ne font pas exception à la règle qui initialement n'est pas un choix, mais une nécessité. Notre sexualité doit s'adapter au milieu et elle façonne le type de société dans lequel on évolue. #1
La différence majeure de notre espèce, comparée aux autres espèces animales, est qu'elle modifie le milieu de façon radicale, comptant plus à cette faculté pour s'adapter qu'à son évolution génétique. La règle d'adaptation au milieu n'a pas changé, mais la définition du milieu et des moyens d'interaction avec lui nous reviennent.
Il fait froid ? On allume un feu et/ou on se fabrique des vêtements.
Il fait chaud ? On invente la climatisation.
On a la flemme de parcourir des kilomètres pour la cueillette ? On cultive son jardin.
La chasse n'est pas notre truc ? On fait de l'élevage.
On a besoin de pinces ? Plutôt que de s'en remettre à l'évolution et la transformation de notre corps pour en disposer, on en fabrique !
Un accident génétique fait naître un individu qui ne pourrait pas survivre ? On le bourre de médicaments et on étend son espérance de vie.
En plus [ou à cause, je n'ai pas réussi à me décider], nous avons développé un moyen de transmission d'informations qui n'a plus rien à faire avec le génome : le langage.
Notre espèce est la première à n'avoir pas à subir l'existant et ainsi disposant de la possibilité de décider de quelles formes de société et de sexualité elle souhaite bénéficier. C'est un luxe.
Il ne faut pas oublier quand même que nous sommes encore fortement conditionnés par notre biologie. Sans ça, le sujet même de la nature de notre sexualité ne serait pas en discussion. Même des notions qu'on aurait tendance à considérer comme des expressions de notre culture et notre société, comme "le coup de foudre", "l'amour qui rend aveugle", "la fidélité conjugale" sont des conséquences de notre physiologie et si on observe des variations ce n'est que l'expression normale de la variance de ces caractéristiques.
Mais on s'en éloigne dans nos pratiques, de plus en plus. Notre sexualité n'est plus liée à la reproduction. Le plaisir qui en résulte est devenu un outil de plus dans la quête du bien-être et on cherche à l'obtenir en dehors des limites animaux : copuler se reproduire#2. Et qui plus est, notre sexualité n'est plus la seule à définir le modèle social idoine. Nous pouvons l'obtenir par des ajustements du milieu, facilitant le détachement entre reproduction et sexualité, sexualité et structures sociales et donc reproduction et structures sociales.
Notre sexualité évolue en même temps que nos structures sociales; nos religions, précurseurs et fruits de la pensée philosophique ont évolué, nos modèles sociaux également et en parallèle.
J'admire les religions en tant que systèmes de pensée, même si je considère qu'elles sont dépassées définitivement et que nous devrions les laisser là où elles appartiennent : aux bibliothèques.
Il est encore concevable de prier un être supérieur pour arranger la météo aux besoins de ses cultures quand on n'a pas conscience que l'on peut adapter son maïs aux conditions météorologiques.
Ou accepter que le Tout Puissant ne veut pas qu'on baise à droit à gauche, pour limiter les maladies vénériennes, tant que les capotes et les antibiotiques ne sont pas disponibles.
Ou se servir du mysticisme comme source d'une morale que l'on souhaite voir imposée pour le bien être social, tant qu'on n'a pas le courage de dire que c'est un point de vue personnel qui supporte/nécessite discussion.
Je suis fasciné par notre système social patriarcal qui a pu [malgré ceux qui le portent probablement] promouvoir l'évolution nécessaire à son abolition. Il est en train de s'autodigérer ! Et je suis curieux de voir ce à quoi nous aboutirons quand les responsabilités individuelles ne seront plus fonction des gènes hérités [qui déterminent le sexe entre autres], mais de l'usage qu'on en fait.
On peut être petit joueur et essayer de prendre la biologie comme témoin de la supériorité d'un sexe sur l'autre. Ou d'un individu sur l'autre.
On peut être joueur et se servir de la biologie comme un outil pour essayer de comprendre les relations entre les deux sexes et les personnes.
On peut être bon joueur et endosser la responsabilité de se servir de la biologie pour définir les relations entre les deux sexes en partant du constat que les deux sont autant importants. Parce qu'il n'y a rien qui pourrait indiquer que chez les humain un des sexes devrait dominer l'autre; si le milieu l'a justifié par le passé, il ne s'agit là que de circonstances provisoires, c'est à nous de faire en sorte que le milieu change; non pas seulement nous en sommes capables, mais en plus les seuls de l'être. On peut même avoir l'audace de dire que la discrimination négative sur la base de critères biologiques/physiologiques est nécessaire dans certains cas; il ne suffit pas de disposer de 20 millions de dollars US pour se payer une visite de la station spatiale. Il faut aussi disposer des aptitudes physiques pour supporter les conditions de ce milieu difficile. Au moins tant qu'on ne l'a pas rendu plus confortable ;-)
Maintenant, que faire de cette sexualité qui a perdu ses attaches, reproduction et structuration sociale ?
En profiter tranquillement sans se prendre la tête est la solution de simplicité.
Mais je reste convaincu que l'état/la société devrait avoir son mot à dire !
Il y a des pratiques de la chambre à coucher qui ont des conséquences en dehors. Je trouve criminel qu'un individu VIH séropositif ait des relations sexuelles non protegées, quand ses partenaires ne sont pas au courant de sa séropositivité. Et je trouve souhaitable que l'état intervienne dans sa chambre à coucher.
Il y a les conséquences désagréables de la reproduction entre porteurs de tares génétiques, des enfants qui sont condamnés à souffrir dès leur naissance; je trouve souhaitable que l'état interdise leur conception dans la mesure où les parents sont au courant du problème, et leur imposer d'en supporter les conséquences personnellement s'ils insistent.
C'est là que mes collègues sont en train de se ronger les ongles en se demandant si je vais oser parler d'eugénisme; gagné les enfants, vous pouvez vous les ronger jusqu'au coude maintenant; un jour il faudra admettre que nous sommes enfin en mesure d'améliorer l'espèce et endosser nos responsabilités. Ceux qui se planquent derrière des moratoires en attendant l'heure de la retraite sont des foies jaunes. Shame on you!
Ou encore quand le règle de la chambre à coucher est l'esclavagisme; soit à travers les liens sacrés du mariage, soit par la loi du proxénète. Autant j'admet la pornographie et la prostitution, autant je trouve inacceptable l'esclavagisme (pas que sexuel !). Là aussi, l'état aurait son mot à dire.
Et quelques commentaires sur commentaires :
Ceci étant dit, aucune anarchiste n'a jamais proposé de remplacer le patriarcat par le matriarcat, surtout pas Emma Goldman. Les (rares) féministes qui l'ont fait n'étaient pas anarchistes mais des radicales à tendance crypto-fasciste.
Ouf ! Anne, si Neige lit ces lignes, et j'espère que oui, elle risque l'apoplexie...
Plusieurs société tribales ont vécu autre chose... Entre autres, des sociétés d'Afrique et d'Amérique, dites à tort primitives,...
Pourquoi à tort ? Elles sont primitives ! Ou alors mon dictionnaire déconne ferme et on devrait réécrire le lemme primitif.
Je trouve que l'attachement larmoyant au folklore est signe d'un réactionisme aussi dangereux que tous les autres, réactionismes. Autant j'admire un modèle social, quel qu'il soit, pour avoir su préserver son peuple, autant je trouve dangereux de penser que nous trouverons les solutions à nos problèmes en copiant les primitifs.
L'essence du patriarcat n'est que domination et soumission.
Celle du matriarcat aussi ;-)
Voyons Télépinou, le héros n'est pas un mythe: elle existe toujours, cette brute primitive qui baigne dans la testostérone!...
Ma Mamie Laitue m'a appris qu'on a les héros qu'on mérite. Je me suis creusé la tête pendant des années pour savoir ce qu'elle voulait dire, puisqu'elle a toujours refusé de s'étendre sur le sujet. Je sais aujourd'hui que je ne mérite pas des brutes primitives qui baignent dans la testostérone comme héros/héroïnes. Il n'y a pas qu'Hercule parmi mes héros, mais aussi Athéna et Aphrodite et Diane et Héphaiste et Hermès et Albert Einstein et Marie Curie...
Putain qu'ils étaient bien avisés ces cons de grecs anciens.
Selon le brin de compréhension que j'en ai, et sachez que j'avance ceci avec prudence, les «anarchistes» ne seraient-ils pas des nostalgiques de la vie tribale?
En ce sens que, à l'intérieur de ce mode de vie, les besoin réels des individus étaient essentiellement les seuls intérêts qui obligeaient au travail?
YR ! tu me scies là !
Anne répondra de ce dont les anarchistes seraient ou non nostalgiques. Mais tu parles de quelle organisation/vie tribale ? Parce qu'il y en a un tas ! A quelle tribu fais-tu référence ? Et à quel moment de son évolution ? Parce que les structures tribales ont aussi leur histoire.
Et d'où vient cette idée que la vie tribale ne répond qu'aux "besoins réels des individus" ? Et pas aussi à leurs envies ? Produisant de quoi les combler leurs envies, que ce soit de la religion, des arts plastiques de la littérature de la musique, par exemple.
[A ce stade-ci je regrette de ne pas voir la tête que fait Anne] • revenir
[C'est là qu'un pape pourrait nous faire un infarctus; sans blagues, la chretienneté reduit la sexualité à son expression bestiale.] • revenir