27.11.05

A la recherche de la recherche perdue

Dans Le Monde daté 25•11•2005, Philippe Kurlisky, professeur au Collège de France, chaire d'immunologie moléculaire, directeur général honoraire de l'institut Pasteur, fout la trouille !

Ou amuse la galérie, je ne sais pas sur quel pied danser après avoir lu son analyse de la situation actuelle de la recherche française. Si vous voulez être optimiste vous devez vous dire que le mec se trompe sur toute la ligne. Le problème est qu'il semble avoir parfaitement saisi la situation; ça fait froid au dos, il a une façon souriante de sonner le glas.

Avant de rentrer dans le vif du sujet il est intéressant de discuter du ton :

  • "le gouvernement a décidé de ne pas attaquer de front des problèmes majeurs",
  • "L'espoir est que s'installe une spirale d'évolution vertueuse",
  • "le projet de loi est à haut risque",
  • "on rêve d'un consensus, autant que faire se peut dépolitisé",
  • "rien ne garantit, au-delà de 2007, la poursuite de l'effort",
  • "la recherche française est au pied du mur",
  • "alors, chers collègues, au charbon !"
.

Mais on peut aussi regarder le côté ludique que la prose propose :

  • "Le pari est risqué, mais peut être gagné !"
  • "à condition que les administrations concernées jouent le jeu"
  • "La donne n'est pas celle que les uns et les autres attendaient, mais les cartes sont sur la table et la donne est intéressante."
  • "Le pari doit être gagné."

On hésite entre bridge et poker; pire, Loto, si ce n'est les références aux cartes. Aller "au charbon" pour trimer dur en pensant que l'on est en train de jouer une espèce de jeu dont les règles sont mal définies et par conséquence sans savoir quelles sont les obligations des joueurs ou quel est le but n'est pas très enthousiasmant. D'ailleurs le moral des troupes ne semble pas vraiment au "beau fixe".

Est-ce de la naïveté de sa part ? Ou une attitude d'autruche calculée pour ne pas décourager les "acteurs" de cette tragédie ?

Plutôt la deuxième. En fait si on lit attentivement sa lettre on se rend compte que l'analyse est bien faite : les acteurs (enseignants, politiques et administratifs) sont bien identifiés en tant qu'autant d'obstacles potentiels pour sa mignonette spirale d'évolution vertueuse [quel terme !], d'ailleurs il en parle des uns et des autres en mettant dans la même catégorie "chercheurs et enseignants" et en évitant soigneusement de discuter des administratifs; il dit juste qu'il faudrait que les administrations concernées jouent le jeu.

Y-a-t-il quelqu'un dans l'audience qui puisse prendre ce "pacte pour la recherche" au sérieux ? SVP ! Dites oui !

Point de vue - Recherche : le temps du réalisme, par Philippe Kourilsky -LE MONDE | 24.11.05 | 14h00
Au terme d'un parcours compliqué, le projet de loi sur la recherche a pris corps. Mais, sitôt connu, ce "pacte pour la recherche" proposé par le gouvernement a suscité de nombreuses réactions, dont plusieurs sont hostiles.
Pourtant, il faut être honnête. Le projet de loi contient de nombreuses dispositions nouvelles, voire innovantes. Des moyens financiers significatifs ont été débloqués. Si le projet de loi n'emporte pas pour autant une large adhésion, c'est qu'il s'agit d'un compromis qui ne peut satisfaire tout le monde.
Pour ma part, je souhaitais que l'on aille plus profond dans la décentralisation ; que l'on interroge sur le statut de fonctionnaire attribué précocement aux chercheurs ; que l'on précise les questions de gouvernance et le rôle d'agence de moyens que les grands organismes de recherche peuvent et doivent jouer vis-à-vis des universités. Je m'étonne que l'on crée plusieurs structures administratives nouvelles sans qu'aucune des anciennes ne soit supprimée. Je doute de l'efficacité de certaines d'entre elles, particulièrement de l'Agence nationale de l'évaluation. Malgré tout, les aspects positifs l'emportent largement. De plus, il faut bien saisir la nature du compromis promu par le gouvernement et les enjeux qui en découlent.
Le gouvernement a choisi de ne pas attaquer de front des problèmes majeurs tels que les statuts des organismes de recherche, des universités et ceux des personnels chercheurs et enseignants. Il a préféré ménager des possibilités d'évolution dans un cadre ouvert à de véritables "expérimentations", puisque, par exemple, la structure des futurs "campus" et des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) n'est pas figée à l'avance. L'espoir est que s'installe une spirale d'évolution vertueuse. Dans une large mesure, l'avenir est ce que les acteurs de la recherche en feront. Le projet de loi les met face à leurs responsabilités. Le pari est risqué, mais peut être gagné !
Qui sont ces acteurs ? Principalement les chercheurs et les enseignants, les politiques et les administratifs. Si le projet de loi est à haut risque, c'est que chacun peut entraver le mouvement de réforme. Ainsi, la loi contient d'importantes dispositions sur le contrôle a posteriori (plutôt qu'a priori) des dépenses, d'où résultera un gain majeur de souplesse, à condition que les administrations concernées jouent le jeu.
Quid des politiques ? Les questions de recherche et d'éducation pourront-elles dépasser les clivages droite-gauche et la stérilité que ceux-ci induisent ? L'importance de ces secteurs est capitale dans un pays en situation financière difficile, dont la croissance est trop faible pour garantir le remboursement de l'énorme dette publique et le financement à venir des retraites. On rêve d'un consensus, autant que faire se peut, dépolitisé. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et rien ne garantit, au-delà de 2007, la poursuite de l'effort budgétaire ou la non-reprise d'une politique en dents de scie dont les effets dévastateurs ont été maintes fois éprouvés.
Quant aux chercheurs et aux enseignants, ils vont devoir relever le défi d'être les promoteurs constructifs de leur propre évolution ? ce qu'ils n'ont pas pu, pas su ou pas voulu faire pendant des décennies. Et ils devront le faire dans un cadre qui s'écarte sensiblement de celui qu'avaient dessiné les assises nationales de la recherche.
Retour au réalisme : quand beaucoup - comme moi-même - appelaient de leurs voeux une réforme plus claire, plus profonde, plus vigoureuse, d'autres souhaitaient un dispositif conforté par plus de postes, plus de moyens financiers garantis pour le long terme. La donne n'est pas celle que les uns et les autres attendaient, mais les cartes sont sur la table et la donne est intéressante. Des moyens financiers substantiels ont été débloqués dans un contexte national contraint et voué à l'être plus encore. Des possibilités d'évolution très significatives sont ouvertes. Il faut saisir la chance. C'est à la fois une opportunité et une nécessité. Les citoyens et l'opinion ne comprendraient pas qu'il en aille autrement, et la recherche perdrait le bénéfice public et politique que les mouvements de contestation des dernières années lui ont légitimement redonné. La démarche du gouvernement inverse, en quelque sorte, la charge de la preuve. On peut ne pas apprécier, mais la réalité est que, à fronts renversés, la recherche française est au pied du mur.
Le pari doit être gagné. S'il ne l'est pas, si les conservatismes l'emportent, la recherche française sera décrédibilisée et condamnée à nouveau, et pour longtemps, à l'immobilité. Alors, chers collègues, au charbon !
- Philippe Kourilsky est professeur au Collège de France, chaire d'immunologie moléculaire, directeur général honoraire de l'Institut Pasteur.

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