pHiLoGrApH (2004.06.29)
...un peu comme quand on apprend une langue étrangère sur le tas.
OldCola icon Salut Philograph,

Dis moi d'abord, d'où est-ce que tu sors ce nickname, pseudo, surnom, qu'est-ce que c'est d'ailleurs ?

PhilographpHiLoGrApH a été conçu comme un pseudonyme,  pour masquer ma véritable identité. Je l’ai inventé lorsque j’étais étudiant pour signer les graffitis que je dessinais sur les murs de l’université. Il s’agit en fait d’une monstrueuse erreur de traduction de ma part. Je voulais exprimer un truc qui dise : «celui qui dessine la sagesse». Ainsi, mon pseudo, si j’avais été plus attentif, aurait dû être GrApHoSoPhE  ou sOpHiGrApHe. Après avoir signé de ce pseudonyme erroné une bonne trentaine de graffitis qui commençaient à faire jaser, je me suis aperçu de cette erreur de traduction… La «célébrité» du pseudonyme étant acquise, il était trop tard à mes yeux pour changer. De toute façon, comme j’ai toujours aimé écrire, le sens de pHiLoGrApH –«celui qui aime écrire»– me convenait symboliquement tout autant.
Alors pourquoi pas de E au bout de pHiLoGrApH ? Non, aucune tentation d’angliciser la chose. L’idée première était que je me garde la possibilité de créer un graphisme symétrique pour ce pseudonyme (comme ici par exemple) et ce E final m’encombrait un tantinet. D’autre part, il m’est tout de suite apparu que ce E «manquant» faisait admirablement écho à ma fainéantise naturelle et à  mon ambition dans l’écriture : m’en tenir au strict minimum.
OldCola iconTon moulin à philosopher m’avait fait marrer et fait partie de ma mini-collection de trouvailles du Net. Cette envie de tourner en rond en faisant en sorte que ça avance sous forme de spirale est évidente dans ton logo.

Tu parles de « celui qui aime écrire ». C’est ça qui t’a poussé à démarrer un blog ?
Est-ce que tes motivations initiales restent les mêmes aujourd’hui ?

Philograph Puisque tu parles du logo de mon site –car j’ai une histoire pour tout, il faut m’en excuser–, j’ai réalisé cette petite animation tournante du «o» de pHiLoGrApH à partir de l’idée suivante : les destins individuels prennent en charge la perpétuation de la vie, envisagée comme un grand Tout qui les dépasse (rien de religieux : la vie est un mystère qui se passe de mysticisme), voilà pourquoi tout le monde se déplace dans le même sens. Chacun, dans cette œuvre collective involontaire, tend à se distinguer des autres, donc à s’en éloigner, d’où la répartition uniforme des personnages autour de la sphère. La plus grande liberté que nous ayons, face à cette contrainte inconsciente, est de se grouiller de bouffer un maximum de vie, de plaisir, d’expérience, voilà pourquoi j’ai mis tout le monde au pas de course.

Quant à ma motivation à bloguer, elle n’est pas la conséquence directe de mon plaisir d’écrire. J’écris en fait depuis l’adolescence. Tous les jours ou presque. Au début, je me suis essayé à différents genres, mais je n’ai jamais eu ni le talent, ni l’énergie, ni l’ambition de produire des écrits de qualité publiable. Lorsque je me suis débarrassé de l’idée qu’écrire n’avait de sens qu’avec l’intention de publier, j’ai dédramatisé cet acte pour ne plus le concevoir finalement que comme un plaisir de l’instant, intime et gratuit. J’ai même poussé le vice jusqu’à écrire un roman rien que pour moi. Je l’ai retravaillé ensuite pour le réduire à une grosse nouvelle. Les deux sont à présent égarés quelque part, dans un tas de disques durs qui attendent le marchand de vieux fers. Vu que je me souviens encore presque mot pour mot de la nouvelle, je la placerai sûrement un jour ou l’autre sur mon blog s’il me prend l’envie de soulager ma mémoire. Allez, en avant-première, en voici même le pitch. Il s’agit de l’histoire de «Tano, fils de deux morts». Son père éjacule en se pendant, sa mère vient profiter de cette providentielle «rigidité» cadavérique pour s’octroyer un dernier orgasme sur l’amour de sa vie et s’en trouve fécondée. Elle meurt dans un accident de voiture avant l’accouchement. On extrait donc Tano du ventre de sa mère décédée. Il survit. Fin de la première partie. Sa vie durant, Tano développe une esthétique macabre dans tous les registres de son existence. Le personnage est cynique mais paradoxalement assoiffé de vie. Pour une raison pas moralisatrice du tout mais longue à expliquer ici, la logique des plaisirs le mène à programmer son suicide. Fin de la deuxième partie. La troisième partie est entièrement axée sur la description minutieuse de son suicide, entre le moment où il place un revolver sur sa tempe et le moment où la balle quitte son crâne. La description est (dé)structurée en étapes très élémentaires de telle sorte qu’à chaque nouvelle «action», on descend d’un cran dans l’échelle de la description (un peu comme ici). Ainsi, je m’attarde d’abord à la main puis au doigt, puis à la phalange, puis à l’épiderme, etc. Lorsque la balle entre en contact avec Tano, on est déjà à l’échelle des tissus et des groupes de cellules qui se détachent les uns des autres sous la pression du projectile brûlant. Bien sûr, plus on se rapproche de la mort, plus on explore les paramètres primordiaux qui constituent la vie. En parallèle, plus on se rapproche de ces paramètres primordiaux, plus on entre dans les pensées de Tano. Les analogies initiées pendant cette description se rejoignent à l’instant de la mort dans les derniers influx-réflexes du cerveau de Tano qui, je t’épargne les détails, achèvent de faire le lien entre l’expulsion de la balle et l’éjaculation du père de Tano au moment où il se pend. Je précise que tout cela est assez joyeux et burlesque. Euh... pourquoi je te racontais cela, moi ? Ah oui ! Cette idée de spirale qui avance et tourne en rond tout à la fois...

Mais je me suis éloigné de la question, pas vrai ?

Je disais donc que j’écris depuis un bail. Ma première intention, lorsque j’ai fait mon blog, était de faire le contrepoint de tous ces blogs misérabilistes ou nombrilo-dépressifs en apportant ma vision joyeuse et délurée du monde. L’idée de raconter les petites joies de ma vie et ma manière de voir le monde m’est apparue, dans un premier élan, d’utilité publique. Cela était bien sûr parfaitement mégalomane et je dois bien dire que je n’ai pas trouvé d’écho par rapport à cette ambition initiale. Il n’empêche que j’ai découvert par le blog un plaisir supplémentaire à l’écriture, non pas dans le fait d’être lu mais dans le fait d’être commenté (je n’oserais pas parler d’interactivité). Je tiens donc un blog principalement pour ce plaisir-là, le plaisir d’écrire étant déjà acquis à la base.

OldCola iconSi tu as changé d’objectif, est ce que tu as changé de public ?

A qui tu t'adresses essentiellement ? Quel est le public qui t'intéresse le plus ?

PhilographJe ne sais pas si j’ai changé d’objectif, auquel cas j’aurais sûrement revu ma manière d’écrire. J’ai plutôt changé de vision en abandonnant ma prétention mégalo évoquée plus haut. Mais bien que mégalo, cette prétention n’en était pas moins légère et je me suis très vite rendu compte (moins d’un mois après avoir commencé, je dirais) que la seule vocation objective d’un blog était d’archiver des données et de les laisser à la disposition de tout qui désire les consulter ou s’y retrouve plongé par hasard. Ce que chacun en retire ne peut être qu’une projection de ma part et je m’abstiens de me poser la question parce que je sais qu’elle est sans réponse.

Je n’ai donc probablement pas changé de public en réformant ma vision du blog.

Difficile de dire à qui je m’adresse. A l’exception de quelques rares posts écrits en clin d’œil privé à certaines personnes qui me lisent et avec qui j’ai des échanges parallèles au blog, je ne m’adresse pas à un «public» dans le sens où je n’écris pas avec la conscience permanente que le texte sera lu par la suite... même quand j’emploie des tournures du genre «vous savez...», «n’allez pas croire que...», etc. L’idée de l’écriture contient en elle-même celle de la communication. Cela me suffit. Pas besoin de savoir qui est le récepteur.

A posteriori –puisque mon blog est quand même lu, merci les stats–, le public qui m’intéresse le plus est celui qui commente. Quelles qu’elles soient, les réactions me font plaisir.

Je me souviens d’un commentaire de Christian Mistral (tu me pardonneras, j’en suis sûr, de souvent penser à lui quand je pense à toi) qui m’interrogeait sur mon sentiment à l’idée que certains de mes posts pouvaient passer «dix pieds par-dessus la tête» de certains de mes commentateurs. J’avais cru bon de répondre par un joker pour jouer de complicité avec lui sans directement vexer les commentateurs incriminés. Après réflexion, en admettant même qu’il ait vu juste, je crois bien que je m’en fiche. Etre compris ne m’est pas nécessaire, ni pour me conforter dans ce que je pense, ni pour me satisfaire d’être lu d'autant que les propos que je tiens dans mon blog n'attaquent pas lourd sur les neurones en général. Tout cela n'est qu'un vent d'électrons.

OldCola iconTu as évoqué les commentaires et une certaine forme d’interactivité.

Tu passes ton temps à inventer des moyens d’interagir avec tes lecteurs, de susciter des réactions, de les faire participer. Au point où je me suis dit à un moment que tu devais travailler pour une agence de pub et te servir de ton blog d’espace expérimental. Qu’est ce qui te pousse à pousser les gens de la sorte ?

PhilographBon, tu vas dire que je fais de la trichotétratomotechnique , mais je crois peu à l’interaction par les seuls moyens du blog. Je ne nie pas que le blog puisse initier des interactions, mais alors, celles-ci se concrétisent par d’autres moyens, à travers d’autres supports techniques. C’est effectivement plus du côté de la recherche de réactions que se situent mes petites manœuvres.

Non, je ne travaille pas dans une agence de pub, mais j’ai étudié la communication donc, entre autres, la publicité. Mon désir de pousser à la réaction, en tout cas les moyens que j’utilise pour y parvenir, ne sont peut-être pas complètement étrangers à ma formation, mais la motivation n’est pas dans l’application des techniques.

Je pars de ma conviction que chaque média conditionne un mode d’expression particulier, engendrant une grammaire de décodage qui lui est propre. Au passage, je dois dire que, tous modes d'expression confondus, je suis de plus en plus attiré par les œuvres qui s’en tiennent à la grammaire de leur support sans aller pinailler, selon une certaine mode, dans les autres registres : il y a suffisamment de matière à explorer en profondeur.

Le blog se profile à mes yeux comme le support technologique le plus adéquat à l’expression des humeurs et des sentiments ou comme carnet de bord d’activités diverses.

L’idée que le media impose implicitement des formes ou des structures ne me paraît pas une contrainte. Par contre, je suis de ceux qui, à l’intérieur d’un espace réglementé, aiment exploiter toutes les règles possibles pour y déployer un «espace de liberté». Le genre prévoit la possibilité de commenter ? Alors il faut l’exploiter, l’expérimenter, en jouer. Le genre induit la possibilité pour le lecteur de prendre le raccourci de l’e-mail pour communiquer des choses plus construites qu’un commentaire (une photo de ses seins avec mon pseudo inscrit en grec dessus par exemple) ? Alors, pourquoi également ne pas en tirer parti…

Tout cela n’est, bien souvent, que test de ma part… un peu comme quand on apprend une langue étrangère sur le tas. Il faut essayer pour comprendre et mieux maîtriser…

Outre l’exploration du média lui-même, le résultat, c’est-à-dire les réactions des personnes que je «pousse», selon ton expression, me fascine. Les messages téléphoniques reçus sur allô pHiLo sont délicieux, les réponses au questionnaire de pHiLoGrApH sont stupéfiantes, les œuvres calligraphiques de ma rubrique «A fleur de peau» sont excitantes, certains gros mots de mon comptoir d’insulte interactif sont déroutants… Le jeu en vaut donc la chandelle. Et puis, primeur encore, du côté de l’exploitation de la grammaire du média plus que dans le jeu de la recherche de réaction, je compte créer sous peu une rubrique audio qui s’intitulera vaguement comme ceci : «Ma vie en silence». Mais là, je n’en dis pas plus, tu verras. Enfin tu entendras. Ou plutôt non, tu n’entendras pas, mais tu verras quand même. Bref, à suivre ;-)

OldCola iconQuels sont les bénéfices personnels que tu en tires ?
Philograph Il n’y a pas un bénéfice majeur qui constituerait à lui tout seul ma raison de bloguer mais plutôt une somme de petits plaisirs desquels découle un petit bonheur informe et qui font que bloguer m’est devenu aussi naturel que me branler. J’entends par bloguer : écrire des posts ET repasser sur mon site pour lire les éventuelles réactions. Il s’agit donc d’une activité que j’exerce plusieurs fois par jour (oui, comme la branlette). Parmi les petits plaisirs que j’évoquais en début de paragraphe, le blog m'a mené de découverte en découverte. Le fait d’être commenté en particulier. J’adore les commentateurs qui t’en remettent une couche là où tu ne l’attendais pas, ceux qui te prolongent ou te refondent magistralement un jeu de mot, ceux qui te placent devant une contradiction que tu ne soupçonnais pas alors que tu crois te livrer en connaissance de cause, ceux qui apportent un jour nouveau à un propos que tu crois cerner, etc. Bien sûr je déteste les vieux bougons hellénisants qui viennent te chicaner devant tout le monde à propos de tes sources et de tes traductions sous prétexte qu’ils t’ont offert la culotte la plus enviée du web ! Tiens, si j’y pense, je te l’amènerai quand je passerai à Bordeaux, je te dois bien cela sacrée fripouille !

Il y a également un à-côté du blog absolument imprévisible qui m’a complètement désarçonné. Bon, puisque tu sembles avoir l’habitude de prêter attention à «celui qui écrit» en t’intéressant à sa prose, tu auras peut-être noté que je suis quelqu’un qui aime tenir la rencontre dans un jeu de séduction et faire jaillir un peu d’érotisme dans les vis-à-vis que je m’autorise. Je n’ignorais pas, dans cette optique, le pouvoir des mots puisque mes plus belles amours furent aussi les plus arrosées d’encre. Séduire par l’écrit, de bout en bout, m’était même une notion tout à fait plausible puisque j’ai mené à l’occasion, l’une ou l’autre cour assidue par lettres ou mails interposés. Mais la base de la rencontre était toujours faite de chair et d’os. Tenir un blog m’a amené à recevoir des mails et, à l’occasion, à transformer un simple échange de politesses en une sorte de cour épistolaire (bon, le mot est pompeux, mais tu vois ce que je veux dire) sans jamais prévoir de rencontre. Je raffole de cela, c’est un jeu qui me passionne et qui peut dériver en de très chaleureux échanges. Le blog m’a aussi attiré quelques frivolités virtuelles tout à fait plaisantes pour le plus pur plaisir de la coquinerie sans lendemain. Les coquineries à distance ne me frustrent pas –je le précise vu que le caractère virtuel de ce genre de plaisirs m’a déjà été rapporté comme frustrant… par des personnes qui s’y refusent, donc, damned !– car je n’en attends rien. Non que ce qui est susceptible d’en découler me laisse a priori indifférent, mais je n’ «organise» pas ma vie sociale en comptant sur ce biais. Enfin, je t’ai déjà confessé que dérapage «In real Life» il y eut, initié par le blog… Ce qui est racontable est posté, ce qui ne l’est pas ne le sera donc pas plus ici ;-)

OldCola iconHmm ! il semble que j'ai une chance de rencontrer cette fameuse culotte avant de faire un tour en Belgique :-)

Partant du principe que les blogs sont des journaux du Net, es-tu du genre à tout archiver pour le garder pour longtemps, ou tu laisses passer juste ? Et si tu archives, est-ce que tu le montreras fier à tes petits enfants ?

Philograph Non, je n'archive rien. J'ai d'ailleurs tendance à croire que mon blog est plus en sécurité dans ce no man's land de serveurs que dans mon fouillis de supports informatiques voués périodiquement à l'obsolescence. Je remarque cependant que depuis quelques temps, j'utilise pas mal l'outil de recherche dans mes archives. D'autre part, le fait que le blog archive tout automatiquement me donne l'occasion de me relire (brrrrrrr) beaucoup plus que je ne le faisais auparavant. Mais à mon sens, cela génère plus d'inconvénients (genre "bordel, comment j'ai pu faire un post aussi merdique ?") que d'avantages (genre "ouais, ce passage là, j'en suis content").
OldCola iconTu fais partie des "vieux" de la blogosphère francophone (est-ce que ça sonne bien ?), non pas seulement parce que tu tiens ton blog depuis longtemps, mais aussi et surtout parce qu'il est vivant et frétillant. A tel point que je suis en train de l'archiver pour tes petits enfants à ce moment même, qu'ils aient la chance de se payer la tête de papi plus tard.

Quelle sont les conseils que tu donnerais à quelqu'un qui t'écrirait pour te dire : Bonjour [Monsieur | Philo | Vieille Crapule | Amour de ma Vie | ... ] (rayer les mentions inutiles), j'ai décidé d'ouvrir un blog, des conseils pour qu'il y ait une chance d'être dans [votre | ta ] blogroll ?

Philograph Haha ! Impayable Old-Cola ! Hé, si tu archives Anne Archet, par contre, ça m'intéresserait vachement (rien à voir avec une anticipation morbide : ce serait pour les jours et les lieux sans connexion au net). N'empêche... vieux de la blogosphère... ça fait à peine un an. C'est hier, quoi.

Pour être dans ma blog-roll ? Misère, quelle drôle de question. Ceux qui s'y trouvent sont vraiment ceux que je titille de la souris chaque jour ou presque et c'est par commodité personnelle que je les place là, pour les avoir à portée de clic d'où que je me connecte. Je conserve dans mes favoris ceux que je fréquente moins régulièrement et qui peuvent attendre que je revienne à mon PC perso. Pas de hiérachie donc, plutôt une question pratique. Il y a d'ailleurs des blogs que je préfère à certains liens de ma liste mais que je ne linke pas parce qu'ils ne mettent pas à jour suffisamment souvent pour mon rythme de consultation ou qu'ils n'ont pas assez d'archives pour me distraire les jours sans post.

Mais des conseils à donner... foutrepurée ! ça me ferait mal !