e-Chantal, programmatrice Web, une amie à moi qui n'a rien de virtuel, m'a proposé de me fabriquer un blogue et de l'héberger. J'étais d'accord, mais je n'ai pas insisté. Elle m'a finalement mise devant le fait accompli... Je revenais d'un voyage à Paris, j'avais fait le grand tour de mes dadas historiques et jétais en pleine rechute dix-huitièmiste. Je lisais et relisais les moralistes et les mémorialistes, je venais de découvrir avec ravissement le Prince de Ligne (à qui est dédié mon blogue). N'ayant pas envie de raconter ma vie, ni de débattre sur l'actualité, j'ai rapidement choisi comme angle le personnage de Lady Guy. Un jeu de mot avec mon nom, un clin d'oeil à Lady Di, bien sûr, mais aussi un contraste qui me définit très bien : Je suis une Lady très garçonne.
Je voyais mon blogue comme l'occasion de me livrer entièrement à mes lubies, une façon de partager des lectures et des réflexions avec n'importe qui ayant les mêmes intérêts. Car, il faut bien le dire, je n'ai pas rencontré beaucoup de gens dans ma vie qui aiment lire les souvenirs de Madame Campan ou ceux de Saint-Simon...
Je n'espérais donc pas beaucoup de lecteurs.
Les lecteurs qui se manifestent sont presque tous des blogueurs, mais j'ai parfois des petites surprises, un commentaire d'un inconnu, qui a eu envie de réagir à un de mes billets, et que je ne revois plus pendant des mois. C'est encore la toile d'araignée qui agit : le fait que certains blogueurs aient mis mon blogue sur le leur apporte des lecteurs à mon moulin. Et, je ne sais trop pourquoi, je reçois aussi des pubs de viagra ou de sites pornos. Enfin, j'ai mes habitués « visibles » : Toi, Mistral, Sakurako, Philograph et Maxime. Je n'en demandais pas tant !
T'en est contente de ton blog ? Il semble que e-Chantal t'ait un peu poussée, mais qu'est-ce que tu en penses avec le recul de 169 posts ? (malgré le fait qu'on doit râler de temps en temps pour avoir de tes nouvelles !)
Pour être franche, j'aime beaucoup mon blogue, même si j'ai bifurqué un peu de mes règles inaugurales... Parler de The Man fut la première entorse à ces règles, mais l'interaction avec les lecteurs exigeait à mon avis leur assouplissement. L'écriture, c'est un médium plus froid que la communication verbale, j'ai voulu que ce soit un peu plus chaleureux et moins guindé. Je suis constamment ironique et humoristique, si bien que je suis toujours étonnée lorsque quelqu'un prend très au sérieux mes billets. (Je trouve d'ailleurs que c'est le réel problème du blogue, ces incompréhensions, comme s'il manquait un boulon dans la machine pour faire passer sans équivoque notre message).
Mon métier concerne l'écriture, sur des sujets imposés. Mon blogue s'éloigne autant que possible de mon travail, c'est mon espace de liberté, où il y a cependant plus de contraintes que dans mon journal intime, commencé à 12 ans, et moins bien écrit à mon avis, car c'est un exercice qui s'apparente plus à celui de s'allonger sur le divan d'un psy et de dire n'importe quoi, sans forme, laissant à l'autre la responsabilité de faire le ménage. Dans mon blogue, il y a beaucoup plus un souci du style et du rythme. Et, fort heureusement, aucun gémissement et aucun apitoiement, sauf quand j'ai la grippe (au moins trois fois par année). Les rares posts où il m'est arrivé de me plaindre, je l'ai regretté. Pour dire vrai, mon journal ressemble à ce que je suis, et mon blogue à ce que je voudrais être. Les deux facettes d'une même médaille. Curieusement, j'écris de moins en moins dans mon journal depuis que j'ai commencé mon blogue, et j'estime que c'est très significatif, car je n'ai jamais abandonné aussi longtemps mon journal. Peut-être que je ressemble beaucoup plus à ce que j'écris dans mon blogue que je ne le pensais au départ. Peut-être que je suis en train de devenir mon blogue ? C'est quoi, déjà, la notion de transfert, en psychanalyse ???
Enfin, puisque tu deviens ton blog ! (au fait, ça fait longtemps qu'on n'a pas eu des nouvelles de Sissi, comment va cette boule de poils ?) Est-ce que tu gardes les archives du blog pour les futures générations ?
Pour les archives, je les conserve pour moi. Pour les générations futures, je ne sais pas. À ma mort, je lèguerai peut-être à la Bibliothèque nationale une belle boîte d'écrits divers, dont les archives de mon blogue... À moins que, victime de mon horloge biologique, l'idée saugrenue d'avoir un enfant me passe par la tête.
C'est toujours très étrange, quand je rencontre des amis qui lisent Le Journal de Lady Guy et qui me lancent : "Comme ça, Sissi a mangé votre capote ? The Man est athée ?". Les gens prennent très au sérieux ce qui est écrit, il ne leur vient pas à l'idée que je transforme la vérité par l'écriture ou que, parfois, au contraire, il y a plus de vérité dans mon blogue que ce que je leur dis en paroles. Enfin, ces petits détails me font réfléchir sur l'écriture en général. Je commence à comprendre, vaguement, ce que les écrivains qui font dans l'autofiction doivent supporter lorsqu'ils publient un roman, et que toute la parenté, les ex et les amis se manifestent pour protester contre certains faits. Ce doit être délicat, en effet !